Julia Le Noë
Sorbonne Université, UMR 7619 METIS
(en) Biogeochemical functioning and trajectories of French territorial agricultural systems : carbon, nitrogen and phosphorus fluxes (1852-2014)
Encadrée par : J. Garnier, G. Billen
Lien vers la thèse : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02355318
Résumé :
La gestion des ressources en agriculture doit faire face à un double enjeu : produire suffisamment de nourriture pour nourrir les Hommes tout en préservant la qualité des écosystèmes pour les générations futures. Dans ce contexte, le travail réalisé au cours de cette thèse décrit les systèmes de production agricole en termes de flux biogéochimiques d’azote (N), de phosphore (P) et de carbone (C) dans les territoires français de 1852 à 2014 suivant une approche socio-écologique qui permet d’appréhender les logiques qui les gouvernent. Dans ce but, l’approche GRAFS (Generalized Representation of Agro_Food Systems) a été étendue au C et développée pour permettre l’analyse sur la longue durée. GRAFS est un modèle générique de comptabilité biogéochimique qui décrit le système agricole d’un territoire en termes de flux de nutriments entre les terres arables, les prairies permanentes, le bétail, la population humaine et les écosystèmes environnants.
Les résultats obtenus mettent en lumière à l’échelle des territoires français le lien systémique entre structures de production, bilans N et P et variations des stocks de C organique dans les sols agricoles. Les systèmes agricoles intensifs et spécialisés engendrent les pertes environnementales et les consommations de ressources par unité de surface agricole les plus considérables et accentuent l’ouverture des cycles d’N et de P. A l’inverse, les territoires de polyculture-élevage ont des consommations en N et P moindres, atténuant les pertes vers l’atmosphère et l’hydrosphère.
L’analyse sur la longue durée révèle que c’est seulement après la seconde guerre mondiale, sous la pression de politiques volontaristes, que certaines régions françaises se sont spécialisées dans la grande culture ou, à partir des années 1980, dans l’élevage intensif, renforçant leur intégration aux marchés internationaux. En particulier, la période des années 1950 à 1980 est marquée par l’accélération concomitante des rendements des cultures végétales, de la densité de cheptel et de l’usage des fertilisants minéraux. Les conséquences en ont été une augmentation des bilans N et P des sols arables et des prairies permanentes ainsi que l’accroissement des apports de C aux terres arables, causant des pertes considérables d’N vers l’hydrosphère et l’atmosphère et l’augmentation des stocks de P et de C dans les sols. Néanmoins, l’accumulation du C résultant de l’augmentation de la production végétale n’a été rendue possible que par le recours accru aux fertilisants minéraux et au machinisme agricole consommant des énergies fossiles. Ainsi, le stockage du C dans les sols représente un effet secondaire du passage d’un métabolisme énergétique dépendant de l’énergie solaire à un métabolisme fondé sur la combustion d’énergie fossile. Globalement, ces analyses indiquent clairement que, bien au-delà de la simple optimisation des pratiques et techniques agricoles, des changements structuraux profonds des systèmes de production sont nécessaires pour réduire l’empreinte environnementale de l’agriculture française.
L’intérêt d’une approche historique réside aussi dans sa capacité à embrasser l’avenir. Pour illustrer ce point, les résultats précédents ont été utilisés comme base pour l’exploration de deux scénarios prospectifs du futur de l’agriculture française. Le premier scénario poursuit la tendance à l’ouverture et à la spécialisation qui caractérisent de nombreux territoires français depuis les 50 dernières années, tandis que le second suppose une transition vers une plus grande autonomie à l’échelle des fermes et des territoires, une reconnexion de l’élevage et des cultures et un régime alimentaire plus frugal, où la portion de protéines animales est réduite à 40%. Le premier scénario, même s’il se conforme aux normes réglementaires de la fertilisation raisonnée, conduirait à augmenter encore davantage les nuisances environnementales. En revanche, le scénario alternatif permettrait de répondre à la demande alimentaire nationale tout en conservant une quantité substantielle de production végétale disponible à l’exportation et permettrait de réduire significativement les pertes environnementales.
Mots-clefs : biogéochimie, cycle de l'azote, cycle du phosphore, cycle du carbone, système agro-alimentaire, métabolisme socio-écologique, trajectoires