Gabrielle Bouleau, future directrice du PIREN-Seine

C'est officiel, Gabrielle Bouleau deviendra la prochaine et surtout la première directrice du PIREN-Seine au moment du lancement de la phase 9 du programme en 2025. Ingénieure agronome et hydraulicienne de formation, elle a ensuite rejoint le monde académique en faisant une thèse sur la construction et les usages des indicateurs dans la Directive-cadre sur l'eau. Elle a ensuite ancré sa recherche en science politique. Ci-dessous, vous trouverez le projet qu'elle a proposé lors du Comité d'orientation des partenaires du PIREN-Seine, mais aussi lors de notre colloque annuel de cette année.

 

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Gabrielle Bouleau, future directrice du PIREN-Seine.

 

Pistes de réflexion pour la phase 9

Le PIREN-Seine a été initié dans un contexte où l’assainissement urbain était la préoccupation majeure des acteurs du bassin. Plus de trente ans plus tard, bien d’autres questions ont été posées par les gestionnaires et les connaissances produites par les chercheurs de ce programme permettent de comprendre de manière beaucoup plus holistique le fonctionnement biogéochimique de ce bassin. La communauté scientifique dispose d’outils pour construire des scénarios d’évolution crédibles sur la quantité et la qualité de l’eau qui interrogent fortement les pouvoirs publics et les usagers du bassin. Mais il faut tenir compte des dynamiques sociales de ce bassin pour imaginer des trajectoires résilientes, or ces évolutions n’ont pas été autant étudiées que les phénomènes physiques. Les sociétés ne s’étudient pas nécessairement dans les limites des bassins versants et l’eau n’est pas toujours au cœur de leurs préoccupations. Les savoirs des sciences sociales ne sont pas directement actionnables par le PIREN-Seine. Il y a un travail d’articulation nécessaire pour construire des recherches interdisciplinaires qui soient plus informées par les sciences sociales. Je suis très honorée que les instances du programme me fassent confiance pour relever ce défi.

Je suis à la fois ingénieure et habilitée à diriger des recherches en science politique. Je suis ravie de mettre à profit cette double compétence au service d’une meilleure compréhension de nos leviers d’action face aux enjeux climatiques et écologiques à venir. Voici les idées que je me propose de développer pour la phase 9 (2025-2028) et que j’ai eu l’occasion de présenter au comité de direction du programme et au comité d’orientation. Elles peuvent être regroupées en quatre grandes thématiques de recherche et quelques ajustements en termes de gouvernance du programme.

 

1. Vulnérabilités et adaptation du bassin et de ses territoires

Les huit premières phases du PIREN-Seine ont été centrées sur la modélisation avec le développement et la consolidation des modèles Prose, CaWaQS et RiverStrahler. Il faut veiller à ce que ces modèles restent accessibles à la communauté des chercheurs en permettant leur évolution. Pour autant, les incertitudes liées au changement climatique invitent à donner plus de poids à des scénarisations qualitatives faisant plus de place aux stratégies d’acteurs. C’est pour cela que les sciences humaines et sociales peuvent apporter des éclairages complémentaires et renouveler l’agenda des questions posées à la quantification.

Les différentes avancées de la modélisation en matière d’analyse spectrale des chroniques pluies-débits, de régionalisation des scénarios du GIEC (RCP) et de plausibilité des scénarios globaux permettent d’envisager de nouveaux fronts de recherche en matière de caractérisation de la vulnérabilité des territoires et les possibilités d’adaptation. Pour cela, nous aurons besoin de territorialiser des scénarios sur la ressource en eau. Si certains processus peuvent être étudiés indépendamment des stratégies des acteurs, comme l’évolution de l’activité biogéochimique lorsque la température de l’eau change ou la répartition dans l’espace de contaminations passées, d’autres comme les conséquences des événements hydriques extrêmes sont très dépendants des ressources, des connaissances et de l’organisation des territoires. Il s’agit d’imaginer collectivement des enchaînements d’événements et de stratégies collectives qui soient crédibles et utiles pour des décisions robustes. Dans ce domaine il me semble intéressant de pouvoir coconstruire avec les gestionnaires des indicateurs pertinents pour la résilience des populations en réfléchissant à ce qui est le plus pénalisant dans le temps et l’espace. Il faut pouvoir étudier également les mutations des systèmes d’assainissements urbains et leurs impacts.

 

2. Connaissance des filières et des secteurs d’activité influençant l’eau et les milieux aquatiques

Il serait également intéressant de mieux connaître les enjeux économiques et les stratégies d’acteurs concernant le secteur agricole, celui de la construction, de la navigation et de l’énergie, quatre filières ayant un fort impact sur le bassin. Il s’agirait ainsi de caractériser les différentes formes entrepreneuriales du secteur agricole en tenant compte non seulement des revenus, mais aussi du patrimoine des acteurs et de leurs réseaux professionnels en amont (agrofourniture), en aval (agroalimentaire) et en diversification (immobilier, transports) pour comprendre l’inscription de leurs stratégies dans les politiques foncières et territoriales. Les chercheurs du CESAER (Dijon), du CED (Bordeaux) ou du LIED (Paris) qui travaillent sur ces sujets pourraient être mobilisés. Le séminaire académique « Actualités et circulations des études agraires critiques anglophones et francophones » que je vais animer avec Edouard Morena en 2022-2023 pourra également nourrir des questions appliquées au bassin de la Seine. Dans le secteur de la construction, la consommation de sable, de granulats et de bois que le PIREN-Seine a permis de quantifier mériterait d’être également caractérisée en termes d’acteurs, de stratégies et de gouvernance des métropoles (concurrences, modèles, asymétries de pouvoir…). Les laboratoires du LATTS (géographie et sociologie) et du CIRED (économie) pourraient être sollicités. De manière complémentaire, le PIREN-Seine pourrait également apporter des connaissances sur les enjeux de la navigation. Dans la mesure où cet usage structure fortement les masses d’eau, il est important de comprendre les contraintes et les opportunités de cette forme de transport par rapport à d’autres formes de mobilités pour comprendre les conditions d’un réel report modal et ses impacts sur l’eau. Il est probable que ces questions exigent de dépasser l’échelle du bassin versant pour pouvoir y revenir ensuite. Le CIRED à nouveau et le LMVT de l’école des ponts pourraient nous aider à aborder ces questions. Enfin les interdépendances entre le secteur de l’énergie et les ressources en eau méritent que l’on documente davantage les réseaux territoriaux d’électricité et les conditions sociotechniques de déploiement de la géothermie.

 

3. Le socio-écosystème Seine au prisme one health

Le décloisonnement des problématiques écologiques et sanitaires dans le paradigme one-health est propice à ce que l’on intègre au sein du PIREN-Seine les connaissances des processus des différents compartiments, dont le sol, dans une vision de flux d’eau et de contaminants à l’échelle du bassin. On peut sans doute progresser dans notre connaissance des liens entre les enjeux d’écotoxicologie et d’antibiorésistance et la biodiversité à l’échelle des paysages.

Sur les questions de biodiversité, il me semble aussi que plusieurs problématiques pourraient bénéficier d’une interdisciplinarité élargie avec les sciences sociales. À l’échelle macro, il me semble intéressant d’étudier l’appropriation politique de controverses écologiques sur le bassin (par exemple land-sparing-land-sharing ou l’impact des retenues d’eau) en essayant de dépasser les biais d’échelle et de granularité et les cloisonnements par des connaissances intégrant les compartiments aquatiques et terrestres, y compris le sol. À l’échelle plus locale, si le PIREN-Seine a contribué à éclairer les conflits d’usage et de représentation dans les projets de restauration écologique, il me semble que le concept de solutions fondées sur la nature tend à brouiller la distinction économique entre stock de capital naturel et flux de services rendus. Un dialogue plus approfondi entre écologie, économie et sociologie est nécessaire pour mieux qualifier les incertitudes et les hypothèses des deux disciplines dans les opérations de restauration et pour tenir compte de valeurs non utilitaristes portées par les acteurs.

 

4. Acquisition et usage des données environnementales

De manière très transversale, la qualité des données et des modèles dont dispose le PIREN-Seine permet d’ancrer de manière empirique une réflexion plus large sur la gouvernance des données environnementales. C’est un enjeu pour la modélisation que de pouvoir articuler modèle et assimilation de données. C’est aussi un enjeu sociopolitique que d’étudier ce que les réformes publiques dont au suivi des milieux aquatiques et ce que les innovations technologiques (capteurs, satellites, ADN environnemental) peuvent apporter tant du côté de la connaissance que de l’ignorance.

Ces différentes pistes n’épuisent certainement pas les thématiques pertinentes pour la phase 9 et il conviendra d’explorer dans le processus de construction quelle peut être aussi l’ambition d’une interdisciplinarité de proximité entre sciences biogéochimiques d’une part, ou entre sciences sociales d’autre part, pourvu que les projets aient l’ambition de monter en généralité à l’échelle du bassin.

 

5. Modalités de construction de la phase 9 et gouvernance du programme

Dès le colloque 2022, nous présenterons les étapes de construction et pourrons convenir des règles d’arbitrage pour faire converger les propositions des chercheurs et les attentes des partenaires. Comme pour les phases précédentes, il me semble utile de prévoir un séminaire résidentiel pour construire les propositions de recherche de la phase 9. Ce séminaire pourrait avoir lieu au premier semestre 2023, avec des arbitrages avant les J0 de 2024 pour espérer avoir l’ensemble des conventions signées au démarrage de la phase 9 en janvier 2025.

Les nouvelles thématiques envisagées pour la phase 9 pourraient intéresser de nouveaux partenaires. En concertation avec Benoît Lesaffre, j’envisage ainsi de rencontrer des acteurs privés et publics du monde de l’assurance, parce que les dommages du bassin sont d’une ampleur telle qu’ils peuvent remettre en cause la durabilité du système CATNAT actuel. Il me semble également important de bâtir des liens avec l’ADEME qui développe des scénarios complémentaires du PIREN-Seine en matière d’énergie et de déchets, avec des hypothèses différentes comme en témoignent les débats sur le label Ecoscore. Sur les dynamiques foncières, la Caisse des Dépôts et Consignation pourrait également être un bon partenaire.

Étant donné les ambitions nouvelles envisagées, il me semble important d’envisager une évaluation-conseil du programme, avec des personnes extérieures, avant la fin de phase pour pouvoir construire la phase suivante.

Même si le programme a pu fonctionner sans jusqu’ici, il me semble qu’un accord de consortium serait désormais souhaitable. Une fois acquis, il devrait permettre de fluidifier les circuits de conventions et d’harmoniser les conditions de reversement des subventions aux unités sans que leurs tutelles ne facturent de frais de gestion. Il permettrait également d’expliciter les choix concernant la propriété intellectuelle des modèles et de l’accès aux données.

Gabrielle Bouleau

 

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